• Entretien Louis César Ewandé et Klaus Blasquiz pour Batteur Magazine. Dec 2008. Ensemble. à nouveau !
UN PEU PLUS DE VINGT ANS. et VOILÀ QUE RESURGIT UN GROUPE PIONNIER EN MATIÈRE DE FUSION DES GENRES, DES CONTINENTS, DES MUSICIENS ET DES SONS. LE RETOUR DU PERCUSSION ENSEMBLE SE FAIT À L'OCCASION DE LA RÉÉDITION DE SON SEUL ET UNIQUE DISQUE, AGRÉMENTÉ D'UN CONCERT FILMÉ À L'ÉPOQUE.
RENCONTRE AVEC UN MAÎTRE PERCUSSIONNISTE.
J'ai le souvenir d'un enregistrement du Percussion Ensemble à l'Espro de l'Ircam. Difficile d'imaginer que cela fait déjà vingt ans...
Une partie de ce concert se trouve précisément dans le CD/DVD réédité aujourd'hui, avec en particulier les mor Kakilambé et Mendiani. Le réalisateur-producteur , Philippe Nasse, m'a raconté qu'ils avaient réalisé la captation à l'aide de matériel venant de sortir, en Dolby Digital : ils P n'avaient même pas les machines pour effectuer la postproduction dans ce format ! J'avais un peu peur. Je me deman agréablement surpris. Ça allait dans le sens du sou venir que j'avais de nous en concert.
On y sent en effet une ambiance fraternelle, presque familiale. C'est sans doute le résultat de beaucoup de travail mais aussi de choses implicites, avec des regards, des sourires complices, une grande écoute et beaucoup de respect. Et puis c'est très moderne dans la démarche...
je ne pensais pas que ça pourrait être à ce point annonciateur de ce qui se | passe aujourd'hui. C'était d'abord une envie de musiciens, pas un projet de producteur. On passait du temps à répéter mais aussi à bien choisir les options que l'on devait prendre.
Comment faire un pont entre des percussionnistes classiques, avec leur sens de la pulsation et des musiciens africains ou sud-américains ?
N'y avait-il pas des moments où ça s'emboîtait difficilement ?
Bien sûr, mais j'ai toujours été vigilant à ce que rien ne se perde, je voulais éviter que le mélange, au lieu de produire quelque chose, ne dilue l'ensemble et qu'on arrive à un résultat moins bon que chacun des éléments séparés.
Je suppose que vous avez appris énormément les uns des autres. Qui avait, à par toi, une vision globale de toutes ces manières d'entendre ?
C'est difficile à dire. En fait les musiciens s'appréciaient entre eux. Je sais que Mare (Sanogo, au djembé] aimait beaucoup voir Miguel (Gomez) aux congas, et réciproquement. D'ailleurs, Miguel est aujourd'hui chef d'orchestre d'Africando. Ça marchait aussi bien avec Florent [Haladjian), avec Emmanuel [Baudry)... Épizo (Bangoura, au balafon et aux dundums) était quant à lui partant pour faire quelque chose de non conventionnel. Mare et Ali (Wagué : à la flûte) me faisaient totalement confiance. Ils étaient très heureux de jouer avec des musiciens qu'ils n'auraient pas eu l'occasion de rencontrer ailleurs. Dans le milieu dans lequel il jouait habituellement, Ali était toujours cantonné dans un rôle de sideman, alors que là il se trouvait devant. Au début, ça l'a un peu intimidé parce que c'est quelqu'un d'extrêmement réactif. Il sait très bien saisir les moments où il doit jouer et où il doit s'arrêter, comme lorsqu'il joue avec une chanteuse. Or là, il se retrouvait en tant que leader. Tout le monde s'estimait et se fai sait confiance...
Paris est certes plutôt favorable à des rencontres de ce type, mais les musiciens étant finalement assez timides, les Africains, Antillais, rockers ou pseudo-Jamaïcains qui y vivent ont un peu de mal à se mélanger...
Au début des années 80, il existait une conjoncture socioculturelle favorable, mais c'était avant tout une histoire de personnes. Ça fonctionnait avec ces gens-là. Ça aurait pu fonctionner avec quelques autres, mais le Percussion Ensemble n'est pas une for immédiat, je me souviens d'un des premiers concerts où nous étions encore en trio : Mare, Ali et moi. C'était en 85 et nous avions participé à un concours d'orchestre au Dunois. On y est resté huit semaines sans se faire éliminer ! Ça crée des liens. Ce premier trio a constitué le tronc commun autour duquel les autres sont venus se greffer. On a eu la chance que la sauce prenne bien entre tous les musiciens.
Dans le vocabulaire rythmique traditionnel, il y a les appels conventionnels, le fait que le soliste module le tempo à sa guise, accélère dans les solos, sans pour autant que derrière ça ne bouge trop...
Il existait un terrain commun dans le Percussion Ensemble : tout le monde s'intéressait à la percussion de l'Afrique de l'Ouest. Florent par exemple a dû répéter 5 ans avec moi quand on jouait pour un ballet africain.
Certains aspects de cette musique leur étaient familiers, à lui et à Emmanuel, et puis on se voyait beaucoup, au moins 10 heures par semaine !
Face à cette confrontation de manières de jouer, qu'est-ce que l'on doit gérer et qu'est-ce que l'on doit laisser vivre ?
Je rencontre cela quand j'enseigne. Au niveau des élèves, je res sens une gêne très profonde quand ils se retrouvent dans l'atti tude de celui qui copie. En Afrique, dans la transmission de la pul contraire. Je me suis souvent entendu dire : toi, tu es intelligent. En réalité c'est parce que les Africains considèrent que la capacité à être suf d'intelligence. Ainsi, la compré même sensuellement, dans les mouve plus important est de savoir comment son corps se relâche, à quel moment il tremble sous les impacts. C'est ça qu'il faut capter. Ce qui fait qu'après, on est bien dans son corps quand on joue, même si la compréhension n'échappe à personne. C'est dans ce sens-là que ça marche en Afrique. En Afrique, jouer et s'amuser sont synonymes. Ce qui ne veut pas dire que ce n'est pas sérieux. En tant qu'enseignant, je dois faire beaucoup pour qu'ils osent se lâcher. Qu'ils se disent : je copie, sans chercher nécessairement à comprendre.
Lorsque tu expliques cela : il y a tout dans ton geste :une posture, un relâchement, une respiration. C'est précisément l'inverse de ce que tu dois rencontrer avec tes élèves « occidentaux » : ne sont-ils pas un peu « raides » ?
Peut-être, mais je n'ai pas l'impression que les jeunes musiciens d'ici, ou moins jeunes d'ailleurs, soient très tendus derrière leur batterie. Ils n'ont pas forcément une grosse technique, mais ils jouent le rythme avec une bonne énergie. C'est souvent le cocktail d'un univers rythmique et des techniques que l'on ne connaît pas, on veut trop bien faire et hop …
" En Afrique, dans la transmission de pulsation de la musique, il n a aucune honte à copier, au contraire !