> Infomumuses - Avril 2009 - Jean-Luc Matte
Ce n'est pas toujours le cas, mais je peux vous assurer que, cette semaine, toute ma famille sait que je vous chronique une méthode de balafon : depuis une semaine ils m'entendent taper sur mes lames de bois face à ma télé. Mais, malheureusement pas en même temps que celle-ci car le seul xylophone pentatonique que j'ai trouvé chez moi n'est pas dans la tonalité (La) de celui utilisé par Aly Keita sur cette méthode. Commençons donc par ce point matériel : l'idéal, pour suivre cette méthode est de posséder un instrument pentatonique, c'est à dire possédant cinq lames seulement par octave et produisant donc la mélodie que l'on obtient en jouant les touches noires d'un piano. Il faut, en outre, disposer ainsi d'au moins deux octaves plus une note dans le grave. Pour pouvoir jouer en même temps que le DVD, ce qui est bien pratique, il faut un instrument en La, c'est à dire dont les lames sont accordées en La, Si, Do#, Mi, Fa# + la seconde octave au dessus et le Fa# grave en dessous. Si vous avez, comme moi, un instrument similaire mais dans une autre tonalité, il vous faudra écouter d'abrod le DVD et jouer ensuite transposé, ce qui ne pose pas de vrai problème mais s'avère tout de même moins pratique (d'autant que le DVD offre un système du duo intéressant avec vue des deux balafons et choix de l'écoute de l'un ou l'autre).
Si vous avez un instrument diatonique (7 lames par octave) en La majeur, il vous faudra ignorer les deux lames inutiles et il vous sera donc un peu plus difficile de vous repérer visuellement par rapport à la vidéo (qui présente de beaux plans de jeu filmés à la verticale). Si vous avez un instrument diatonique dans une autre tonalité, vous cumulez les deux inconvénients. Et si vous avez un instrument chromatique, vous pouvez jouer à l'unisson mais avec des positions de lames différentes. Dans ce cas vous avez peut-être intérêt à remonter les seules lames utiles sur un nouveau support qu'il n'est pas difficile de se bricoler pour vous constituer un instrument pentatonique en La.
Tout cela étant précisé vous pouvez attaquer l'apprentissage du premier morceau, ce qui m'a demandé, en quasi-débutant que je suis, une semaine environ, à raison de trois ou quatre quarts d'heure par jour. Chaque morceau se compose d'une mélodie et de trois " patterns ", soit quatre phrases musicales qui peuvent se jouer ensemble, ce qui autorise, en duo, un certain nombre de combinaisons. Mélodie et patterns utilisent tous les deux mains et sont d'ailleurs présentés dans la méthode en individualisant le jeu de la main droite et celui de la main gauche. Je dois avouer que s'il est facile de les apprendre ainsi, je n'ai pas réussi à les jouer ensemble ensuite et j'ai donc plutôt appris chaque pattern comme une mélodie unique utilisant les deux mains avec des frappes alternées et parfois simultanées.
C'est d'ailleurs la première difficulté qui apparaît au débutant : dès le premier pattern, les frappes main droite et main gauche sont d'abord synchrones puis alternées, la main gauche assurant deux frappes en contretemps. Cette première difficulté étant digérée, sur le pattern B c'est l'inverse : une frappe synchrone vient succéder à trois frappes alternées. Le pattern C m'a donné davantage de fil à retordre et, même non lecteur, j'ai du recourir à la partition pour bien comprendre. Mais, naturellement, l'écoute de la version d'Aly Keita avant tout essai s'est avérée indispensable afin de bien reproduire le rythme exact dont j'ai naturellement tendance à gommer les nuances. Ce pattern C se joue sur une étendue plus grande et les deux baguettes ne tiennent plus simultanément dans le même champ visuel : petite difficulté supplémentaire. La mélodie, enfin, présente moins de difficultés car entièrement jouée avec les deux baguettes en octave parallèle : il suffit de tenir les écartements ou plutôt de les ajuster si, comme le mien, votre balafon comporte des lames plus étroites dans l'aigu. Mais, en résumé, en une semaine j'ai déjà eu une belle satisfaction à venir au bout des petites embuches de ces quatre parties et il me reste maintenant quatre autres airs à travailler ainsi.
Entre temps, j'ai, naturellement, pris le temps de lire le livret (98 pages bilingues français-anglais) et, surtout, de visualiser l'intéressant documentaire qui replace l'instrument dans son contexte d'origine, dresse le portrait d'Aly Keita et des autres musiciens de sa famille, nous montre les différentes étapes de la fabrication et quelques beaux moments de jeu. Le même DVD comporte un concert d'Aly et du groupe de ses cousins-cousines " Super Zamaza ". Certains morceaux entendus dans ces versions de " concert in situ " étant justement ceux proposés à l'apprentissage sur l'autre DVD, il apparaît vite que les trois patterns et la mélodie ne sont qu'un squelette sur lequel les musiciens brodent allègrement et il est probable que ces patterns n'ont été extraits, sur les conseils de Gert Killian (percussioniste blanc associé au projet), que pour fournir un matériau pédagogique abordable par un public " toubab ". D'ailleurs, je n'ai trouvé nulle part d'explication sur la manière dont s'agenceraient traditionnellement ces patterns. Je suppose donc que lorsque l'apprenti balafoniste aura fait le tour des morceaux offerts à l'apprentissage dans la méthode, il lui faudra tendre l'oreille pour essayer de capter le jeu d'Aly et de ses cousins et continuer ainsi son apprentissage à l'imitation. Le fossé semble large et, une étape intermédiaire nous est fournie sur le DVD méthode par une interprétation des morceaux de la méthode en duo par Aly et Gert Killian, le second tenant un pattern de la méthode et le premier brodant à partir des autres. Et la biblio nous apprend que Gert Killian a édité également une méthode qui doit certainement être complémentaire à celle-ci et permettre de poursuivre l'apprentissage.
En résumé, cette méthode s'avère efficace pour débuter sur l'instrument, même s'il est parfois nécessaire de s'inventer quelques petits exercices intermédiaires pour passer certaines difficultés. Il ne faut pas se leurrer, comme l'indique son sous-titre, il ne s'agit que d'une musique d'initiation et l'écoute des musiciens maliens vous démontrera vite que ceux-ci ont une technique et une dextérité à l'égale de celle de nos meilleurs musiciens (Aly et l'un de ses cousins n'ont rien à envier aux très bons pianistes jazz) et que ce talent ne s'acquiert que par des années de pratique et d'immersion dans cette culture.
Jean-Luc Matte